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  • Photo du rédacteurBenoît ROSTAND

Le marchand de sommeil en question

Dernière mise à jour : 8 févr. 2021


Un marchand de sommeil n’est ni un agent immobilier, ni un marchand de biens, ni un marchand de liste ou encore moins un apporteur d’affaires.


Le marchand de sommeil est le propriétaire d'un bien immobilier (appartement, combles, box, cave, débarras, local poubelles, mobil-home, etc.), vétuste, le donnant à bail verbal à un loyer inabordable payable d’avance en espèce sonnante et trébuchante, à la nuit, la semaine ou au mois et ce, sous couvert d’humanisme.


En Seine-Saint-Denis, à Pierrefitte, un 15 m² infestés de champignons était loué 650 €/mois (soit +43 €/m²/mois). Aux Lilas, un 12 m² sous combles (avec des demi-cercles meulés au niveau des poutres pour que la tête d’un adulte puisse passer sans se baisser) à plus de 1.050 €/mois (soit +87 €/m²/mois). Dans le premier cas, le propriétaire des murs a été condamné à faire exécuter des travaux et une simple amende. Dans le second cas, la copropriété et le copropriétaire ont été condamnés par un arrêté de péril, à une évacuation immédiate de l’immeuble, une obligation pour la copropriété de faire réaliser les travaux de réfection de la toiture en ce compris la charpente, une simple amende pour le propriétaire et le relogement de ses locataires. Aujourd’hui, la collectivité publique a dû acheter ce bâtiment, le montant des travaux à réaliser étant supérieur à la valeur théorique de l’immeuble. La collectivité publique, c’est vous. C’est moi.


Les victimes du marchand de sommeil sont des personnes fragiles, ne pensant pas pouvoir être hébergées ailleurs, malgré souvent l’exercice d’un travail et/ou l’obtention de revenus réguliers, régulièrement en attente d’un logement social que nos élus n’ont jamais su attribuer, hors campagne électoral. Dans de très rares cas, ces personnes séjournent illégalement en France. Mais à chacun, il leur sera difficile d’entamer une quelconque action, sauf à se trouver à nouveau à la rue ou logé dans un autre taudis.


Pour mémoire, le marchand de sommeil était celui qui, sous les travaux pharaoniques de transformation de Paris sous les ordres du baron Nicolas-Valentin HAUSSMANN, permettait à l’ouvrier provincial (sic) de dormir en l’accueillant où il pouvait, en contrepartie d’un loyer délirant. Paris devait se démolir, s’assainir, s’agrandir, se reconstruire, se replanter ! Paris était devenu un immense chantier.

La première loi luttant contre le logement insalubre date du 13 avril 1850. C’était il y a 168 ans. Mais cette décision ne fut en définitive que la première loi d’urbanisme. Il s’agissait de permettre d’exproprier pour cause d’utilité publique lorsque les immeubles étaient d’apparence abandonnées. Elle n’était que le moyen juridique pour transformer les villes. Elle n’était pas une loi humanitaire. Elle se voulait une loi de pouvoir, dont ledit baron a profité. C’était sa loi.



Où en est-on aujourd’hui ? Le législateur légifère parfois, lorsque la misère se voit trop ou lorsqu’un immeuble s’effondre sans crier gare, brûle en éliminant ses occupants, dégage une odeur nauséabonde ou oblige une vision cataclysmique, en alarmant à grand coup de média l’opinion publique. Sinon ? Rien.


A ce jour, il n’existe aucune définition juridique du marchand de sommeil. Et pour cause, il peut être un notable pouvant organiser comme par magie sa propre insolvabilité. Il peut être le plus petit d’entre nous, cherchant à survivre en louant des matelas… Il peut être le passeur, le tenancier d’ateliers clandestins, etc. La misère n’a pas de frontière et ceux qui en joue ont beaucoup d’imagination.


Selon une estimation faite en 2011 par Filicom pour promouvoir la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 vers l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR), 420.000 logements occupés sont considérés comme indignes. En 2016, trois rapports citent d’autres chiffres plus ou moins alarmant selon le message à faire passer : 2.100.000 personnes vivent dans des abris de fortune et près de 4.000.000 logent sans aucun confort – rapport annuel 2016 de la Fondation Abbé Pierre et Rapport de l’EPF Ile-de-France de septembre 2017​.


Enfin, selon l’ANAH à la même période, seuls 180.000 logements seraient potentiellement (deux conditionnels) indignes en Ile-de-France.


Bref, personne ne connaît précisément la réalité de cette misère humaine.


En 2018, Anne HIDALGO, maire de Paris, a compté environ 3.000 personnes sans abri à Paris avec l’organisation de ses nuits solidaires. Mais combien de personnes vivant dans des conditions inhumaines ? Faut-il compter pour savoir ? Faut-il dénombrer pour comprendre ? Faut-il calculer pour agir ?


Souvenons-nous que dans un liminaire, Cécile DUFLOT, alors ministre du logement et de l’égalité des territoires, affirmait que la lutte contre l’habitat indigne est en matière de politique du logement une priorité d’action de la puissance publique. C’était en 2013. Il y a 5 ans.


En matière de politique du logement ? Donc, en matière sanitaire (santé), d’éducation (éducation nationale), économique (trésor public), écologique, etc., les ministres s’en contrefichent. Cécile DUFLOT ajoute que la puissance publique possède des outils incitatifs et coercitifs. Pourtant, cela fait 168 ans que rien est fait !



Qu’il s’agisse de propriétaire en nom propre, de société civile immobilière ou d’hôtelier, les conditions de ces hébergements sont illégales et inhumaines : absence de bail écrit, paiement obligatoire en liquide, violence physique et morale pour récupérer loyers et charges, violation de domicile pour expulser les mauvais payeurs, location en sur occupation etc.


Le marchand de sommeil se développe partout, à la même vitesse que le rat, le mérule ou tout autre nuisible. Il est, reste et demeure la cause de l'insalubrité de bâtiments en copropriété entiers ou de maisons individuelles qu’il divise pour augmenter ses bénéfices voire de quartiers.


Plus que de la décence de l’habitat, il est question de déni de la dignité humaine.


Ai-je manqué une étape à ma colère ?



Il est vrai, qu’au fil des lustres, des lois ont été publiées. Des décrets ont été pris. Des arrêtés ont été rédigés. Des circulaires ont circulé.


A ce jour, à la suite d’une dénonciation, l’agence régionale de santé ou les services de l’hygiène et de l’habitat des mairies, une enquête sanitaire peut être lancée.


Cette dénonciation peut être effectuée par les occupants, leurs visiteurs, les services de secours (police, pompiers, SAMU) ou toute personne ayant connaissance ou un doute de la situation.


Après un avis favorable du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques, maire et préfet prescrivent, par arrêté, les travaux ou toute autre mesure nécessaire, comme une évacuation immédiate des locaux ou du bâtiment, le relogement provisoire ou définitif, etc.


Techniquement, un logement sera déclaré insalubre si la dimension ou la disposition des pièces ne permet pas d’y vivre convenablement, si des murs présentent des fissures importantes ou pire sont lézardés, s’il existe humidité importante, si la luminosité est insuffisante, s’il y a peu de prises électriques ou de radiateurs, s’il n’y a pas d’eau potable, etc.


Plus que de la décence de l’habitat, il est question de déni de la dignité humaine. Et le temps passe. Et le marchand de sommeil engrange toujours autant de revenus de trafic de misère humaine.


Si dans un délai déterminé par arrêté, les travaux n’ont pas été effectués ou n’ont pas commencé, ces deux autorités publiques peuvent aussi faire exécuter d’office, en lieu et place et aux frais des propriétaires, tous travaux nécessaires… avec ou sans appel d’offres ?


Perdons un peu plus de temps !


Encore, les services fiscaux sont associés à l’enquête de police pour déterminer s’il y a en blanchiment de fraude fiscale, voire éviter toute organisation d’insolvabilité.


A Paris, le Tribunal de Grande Instance reçoit un seul référent spécialisé dans l’habitat indigne, lequel est assisté de…cinq enquêteurs.



La loi ALUR susdite permet dorénavant l’interdiction de la vente de biens immobiliers aux marchands de sommeil déjà condamnés.


Mais en 2016, seuls 90 desdits marchands ont été condamnés. A mettre en perspective avec les 4.000.000 de locataires vivant sans confort. Soit 0,0023% sur la France ou 0,05% en ne tenant compte que de l’Ile-de-France ! Et sur le nombre, combien veulent à ce jour acquérir ne serait-ce qu’un garage ?


La loi ALUR autorise aussi la suspension de toutes allocations logement versées directement auxdits marchands de sommeil ; mais les loyers étant payés en liquide, il est très rare qu’un marchand de sommeil bénéficie du versement des allocations logement des occupants qu’il humilie.


Encore, la loi ALUR veut inciter ces propriétaires défaillants à rénover leurs biens. Douce illusion.


Enfin, elle prévoit une astreinte pécuniaire à hauteur de 200 €/jour de retard après le délai fixé par arrêté de mises en travaux obligatoires, jusqu'à la levée de l'arrêté et sans préjuger des procédures pénales. Mais souvent, le marchand de biens se placera en insolvabilité.


Le décret n°2016-1790 du 19 décembre 2016 permet dorénavant aux établissements de coopération intercommunale et aux communes volontaires de définir des zones géographiques dans lesquelles la mise en location d’un bien doit faire l’objet d’une déclaration ou d’une autorisation préalable.


Bref, les marchands de sommeil ont encore de beaux jours devant eux, même si les sanctions peuvent aller jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 150.000 € d'amende.



En septembre 2017, Geoffroy DIDIER, vice-président de la Région Ile-de-France, et de Hugues PERINET-MARQUET, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas, ont émis douze propositions. Pour savoir de quoi il est question, il est impératif de définir clairement le marchand de sommeil et de prendre, pour chacun des codes (civil, pénal, fiscal, etc.), ministères et juridictions judiciaires et administratives, la même définition du logement décent et de la suroccupation.


Une fois ces définitions déterminées, outre le fichage des marchands de sommeil et la création d’une police de l’habitat (administrative et pénale), mais qui n’intéresseront que les collectivités locales, il serait intelligent de créer de confisquer (une expropriation sans contrepartie) le bien immobilier.


Il est évident que des garde-fous seront nécessaires pour ne pas que l’Etat confisque facilement des propriétaires honnêtes, en instaurant la responsabilité personnelle du décisionnaire (préfet, maire, magistrat, etc.) et ne revienne à la loi du 13 avril 1850.



Le 15 décembre 2017, Julien DENORMANDIE, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la cohésion des territoires, dévoile un énième plan de lutte contre les marchands de sommeil. Répondant aux élus franciliens, il sera prévu dans une énième loi à venir le traitement des marchands de sommeil en criminels au même titre que les trafiquants de drogue, d'armes, de fausse monnaie, de tabac, d'alcool ou de contrefaçon. Concrètement, le Code général des impôts créera une présomption de revenus pour les marchands de sommeil.


A titre personnel, j’ai déjà dénoncé plusieurs marchands de sommeil, à titre personnel, en qualité de syndic ou encore en qualité de gérant locatif. Et ce, pour des occupants d’appartement des 16è, 18è et 19è arrondissements de Paris, aux Lilas, au Pré-Saint-Gervais ou encore à Romainville. Les occupants ont tous été relogés par les services sociaux, aux frais exclusifs du propriétaire-marchand-de-sommeil. Et les appartements, lorsqu’ils n’ont pas l’objet d’une procédure d’appropriation par la collectivité locale, ont été remis à neuf et le bâtiment réhabilité.


Je me permets d’avoir plusieurs idées pour lutter contre ces drames humains, tant au niveau de l’Etat (national, régional et communal) comme la création d’une véritable police de l’habitat encadrant des inspecteurs techniques à raison d’un contrôleur (payé par l’Etat) et dix inspecteurs (payés par la région) pour 2.500 logements. Et dans un premier temps, les architectes pourraient endosser ce costume.

Encore, au niveau du propriétaire, en instaurant une obligation de de faire diagnostiquer, voire faire procéder aux travaux nécessaires, tous les 10 ans, le circuit électrique et de gaz, ainsi que de faire repeindre le logement (tous les 5 ans pour les F1 et F2, tous les 8 ans pour les F3 et F4, tous les 10 ans au-delà du F5)… L’obligation pour le propriétaire ne serait pas difficile à mettre en place. A chaque mutation, le notaire devra retenir (ou ajouter) à la vente le montant des travaux à réaliser… Cela ne pénalisera aucunement le nombre des transactions. Seuls les prix de vente pourraient être impactés !



Aidons ces victimes ! Sauvons la morale !

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